dimanche 29 décembre 2013

Longbourn de Jo Baker ou Pride & Prejudice du point de vue des domestiques

Cette petite curiosité littéraire est sortie l'été dernier en Angleterre. En grande amatrice de Jane Austen et de romans dérivés, je me suis laissée tenter et je ne l'ai pas regretté.

If Elizabeth Bennet had the washing of her own petticoats, Sarah thought, she would be more careful not to trudge through muddy fields.

It is wash-day for the housemaids at Longbourn House, and Sarah's hands are chapped and bleeding. Domestic life below stairs, ruled tenderly and forcefully by Mrs Hill the housekeeper, is about to be disturbed by the arrival of a new footman smelling of the sea, and bearing secrets. For in Georgian England, there is a world the young ladies in the drawing room will never know, a world of poverty, love, and brutal war. A brilliantly imagined, irresistible below-stairs answer to Pride and Prejudice: a story of the romance, intrigue, and drama among the servants of the Bennet household, a triumphant tale of defying society's expectations, and an illuminating glimpse of working-class lives in Regency England.

J'ai apprécié ce roman même s'il m'a inspirée des sentiments pour le moins contradictoires. D'un point de vue strictement littéraire, je pense pouvoir dire que c'est une des "austeneries" les plus intéressantes que j'ai lues. Le roman est bien écrit, intelligent et extrêmement bien documenté. On sent que Jo Baker a fait un gros travail de recherche et qu'elle a mis beaucoup d'elle dans ce livre. J'ai lu plusieurs interviews où elle disait s'intéresser depuis des années à la vie des domestiques au XIXème siècle car ses ancêtres l'étaient. C'est à mon avis tout à son honneur de vouloir lever le voile sur des existences et des pratiques si souvent négligées dans la fiction et de mettre à l'honneur des personnalités intéressantes qui n'apparaissaient que comme des ombres dans le roman de Jane Austen.
Longbourn est la demeure d'un gentleman de bonne condition mais qui ne jouit pas pour autant d'une grande fortune. Elle ne nécessite pas l'emploi d'une garde de domestiques, nous ne sommes clairement pas à Pemberley et encore moins dans Downton Abbey. Ici, seules 5 personnes s'occupent du ménage, de la cuisine, de la lessive, des courses et de l'entretien de Longbourn dans son ensemble. Il y a Mr Hill, le majordome, qui commence à se faire vieux, Mrs Hill, son épouse, plus jeune et dynamique, qui occupe le rôle de la femme de charge entièrement dévouée au bien être de ses employeurs, les deux bonnes, Sarah, une jeune femme déterminée et un brin idéaliste et la jeune Polly, une gamine de 14 ans attachante et naïve. Au début de l'intrigue, un 5ème domestique les rejoint : le taciturne et mystérieux James Smith, le nouveau valet engagé pour seconder Mr Hill, dont la santé se dégrade.
En lisant ce roman, on a vraiment l'impression de vivre aux côtés de chacun de ces personnages, on assiste à leurs tâches quotidiennes, et on apprend peu à peu à percevoir leur attachement et le respect qu'ils éprouvent à l'égard de leurs employeurs mais aussi les rêves et espoirs qu'ils cachent au plus profond d'eux. Les descriptions de la vie domestique sont très réussies. Même si on est clairement face à une oeuvre de fiction, on sent que le roman a des qualités documentaires indéniables. L'auteur crée une vraie proximité avec ses personnages. Lorsque Sarah fait la lessive et s'acharne sur les jupons pleins de boue d'Elizabeth, le lecteur a presque l'impression de s'échiner avec elle.
Certains passages sont particulièrement émouvants. Je pense notamment aux scènes entre Sarah, Jane et Elizabeth. Sarah dit quelque chose de très beau au sujet de la personnalité de Jane. Elle est émerveillée par les qualités de coeur de sa jeune maîtresse et admire son caractère doux et apaisant, qui tranche avec celui de ses deux plus jeunes soeurs. On sent aussi toute l'admiration que Sarah a pour Elizabeth. Il me semble que le terme lovely est employé plusieurs fois pour la qualifier. A travers le regard de sa domestique, Elizabeth apparaît comme une jeune femme très charismatique, qui brille en société grâce à son intelligence et son esprit. Après l'annonce de ses fiançailles avec Mr Darcy (vers la fin du récit, donc), Sarah déclare être surprise d'entendre qu'on considère que le gentleman va épouser une femme en dessous de sa condition. Mr Darcy est excessivement riche, c'est certain, mais pour Sarah, Elizabeth est largement son égale !
Mary est moins ridicule et ridiculisée que dans le roman de Jane Austen. Elle apparaît davantage ici comme une jeune fille introvertie et négligée par sa famille, mais c'est peut-être aussi parce que Sarah n'a pas un regard aussi acéré et ironique que celui de la romancière ! Kitty et Lydia, elles, sont fidèles à elles-mêmes, des jeunes filles rieuses et insouciantes n'ayant que le flirt et les officiers en tête. La vie des domestiques est réglée sur celle de leurs employeurs. Lorsque Mr Collins vient séjourner chez les Bennet pendant quelques jours, il met la maisonnée sans dessus dessous. On ne s'en doute pas forcément lorsqu'on lit Pride and Prejudice mais les domestiques sont en émoi lorsque le cousin et héritier de Mr Bennet et donc sans doute aussi leur futur employeur, débarque à Longbourn.
Chacun des évènements dans la vie de la famille a une portée sur celle des domestiques (du moins, pour la plupart, car Elizabeth a aussi une vie privée, et heureusement !), chaque visite nécessite une préparation scrupuleuse et minutieuse en coulisses.
Elizabeth est l'héroïne de Pride & Prejudice, Sarah est celle de Longbourn. On peut dresser des parallèles intéressants entre les deux jeunes femmes, même si elles sont très différentes et ne passent pas par les même épreuves. Dans le roman, Sarah aussi tombe amoureuse et se pose des questions sur sa condition ... Mais là où Longbourn s'éloigne singulièrement du roman de Jane Austen, c'est dans sa tonalité. Alors que Pride & Prejudice est une comédie de moeurs, brillante et solaire, Longbourn joue beaucoup plus la carte du drame. Il est nettement plus noir et plus sombre, dans la peinture des sentiments et des personnages. Il faut dire que Sarah, James et les autres ne sont pas privilégiés et n'ont pas le même vécu que les héros et héroïnes de Pride & Prejudice.
Jo Baker livre ici un roman qui est tout sauf édulcoré. La violence occupe une place importante dans le récit, notamment celle de la Milice, mais elle est aussi présente dans le coeur et le passé des personnages. Le roman n'est jamais complaisant. La vision de Jo Baker donnera matière à discussion, c'est certain ! Je n'ai pas adhéré à tout, dans la mesure où j'ai eu du mal, parfois, à voir autant de noirceur et de médiocrité dans certains des personnages...
Même si certaines interprétations de l'auteur risquent de faire grincer les dents de beaucoup d'admirateurs de Jane Austen, Longbourn reste un roman bien écrit et assez fascinant. Malgré des éléments d'intrigue discutables, il offre des scènes à l'imaginaire saisissant (la description de Pemberley est très réussie). Et puis, il m'a donné envie de relire Pride & Prejudice et de retrouver Elizabeth & Darcy (qui m'ont un peu manquée pendant ma lecture, je dois bien l'avouer).

2 commentaires:

  1. Dis-donc, j'avais (à nouveau) perdu ta trace, très heureuse de te retrouver, et quel billet remarquable ! Tu m'as donné immédiatement très envie, comme toujours :)

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    1. Merci pour ton commentaire ! C'est vrai que j'ai un peu la bougeotte. Il faut dire que j'ai plus l'habitude de chroniquer mes lectures sur le forum Whoopsy Daisy ;)
      En tous cas, c'est prévu que je poste plus régulièrement sur ce blog mes avis sur les austeneries que j'ai lues :)
      A bientôt !

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