mardi 17 décembre 2013

Le roman du mariage de Jeffrey Eugenides

J'ai lu que Jeffrey Eugenides avait eu l'ambiton en écrivant Le Roman du Mariage de reproduire en version moderne les romans victoriens. Je serais bien en peine de l'affirmer catégoriquement mais j'ai retrouvé un plaisir assez similaire, en lisant ce roman américain, à la lecture des oeuvres les plus riches du XIXème siècle anglais. Le Roman du Mariage est une oeuvre foisonnante et particulièrement riche dans la psychologie de ses personnages. Le récit gravite entre trois personnages, trois jeunes étudiants de l'Université de Brown (là où Eugenides a fait ses études), dans les années 80 : Madeleine tout d'abord mais aussi Leonard et Mitchell. C'est un roman d'amour, qui met en scène un triangle amoureux complexe et émouvant. Madeleine aime passionnément Leonard et est aimée peut-être plus passionnément encore par Mitchell, qui ne la laisse pas non plus indifférente. Ensemble ou séparément, les protagonistes découvrent l'exaltation de la littérature (avec les auteurs anglo-saxons mais aussi avec Roland Barthes et ses Fragments d'un discours amoureux), l'ultime hésitation liée à l'adolescence et surtout l'impatience teintée de crainte, le frisson qui les fera basculer dans le monde des adultes. Ce livre, en plus d'être un récit psychologique qui pencherait peut-être vers le roman "réaliste" et "matrimonial" victorien, est un remarquable roman d'appentissage, dans lequel le lecteur assiste à un chassé-croisé amoureux mené tout en finesse et maîtrise par Eugenides.
L'auteur a également peut-être souhaité réhabiliter le roman du mariage, vu comme un genre archaïque, dépassé mais aussi peut-être idyllique (sa thèse, ainsi que celle du professeur de littérature de Madeleine, qui apparaît au début de l'ouvrage, est en effet est la suivante :

« Selon Saunders, le roman avait connu son apogée avec le roman matrimonial et ne s'était jamais remis de sa disparition. A l'époque où la réussite sociale reposait sur le mariage, et où le mariage reposait sur l'argent, les romanciers tenaient un vrai sujet d'écriture. Les grandes épopées étaient consacrées à la guerre, les romans au mariage. L'égalité des sexes, une bonne chose pour les femmes, s'était révélée désastreuse pour le roman. Et le divorce lui avait donné le coup de grâce (...). Qui utilisait encore le mariage comme ressort narratif ? Personne. »

La première partie est un peu languissante, surtout au regard de la 2ème, dans laquelle l'auteur dresse des portraits incroyablement réussis de Leonard et de Mitchell. L'évocation de la maniaco-dépression de Leonard ou encore des voyages de Mitchell, notamment, font pour moi parti des passages les plus forts et intenses du livre. La finesse dont Eugenides fait preuve en décrivant ces deux personnages masculins n'est pour moi pas à la hauteur de celle qu'il exprime en donnant vie à son héroïne. Elle incarne l'adolescence sage, idéale et pragmatique, mise à l'abri des écarts et des sorties de route par l'assurance que lui a donné son éducation bourgeoise. Ce qui n'est pas le cas de Leonard, ni de Mitchell, aussi brillants que vulnérables, qui n'ont de cesse de se chercher. J'ai noté avec intérêt les lectures de chacun des personnages. Grand amoureux de la littérature et de la sémiotique, Eugenides est parvenu à définir ses personnages à travers les livres qui croisent leur existence. Le roman offre une approche intéressante du campus universitaire américain. Il est très inscrit culturellement, et très américain, ce qui peut déconcerter le lecteur. Moi j'ai été très vite entraînée par cette petite musique eugenidienne, aux lointains échos victoriens. Le roman est tout à la fois exigent et plaisant à lire, grâce à sa contruction notamment.

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